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Récit de marque

Poésie et brand content

Voilà deux mots qui ne vont pas bien ensemble. Leur juxtaposition contredit notre division culturelle bien ancrée entre une démarche purement créative et la mise à disposition de compétence d’écriture pour un besoin commercial. Et pourtant, la démarche poétique réside précisément dans la capacité à connecter et des mots qui n’ont rien à faire l’un avec l’autre. Et l’étincelle qui en surgit nous intéresse. Pourquoi le Brand Content, la créativité au service du marketing, en serait-il imperméable ?

L’un des premiers outils poétiques de la littérature est la métaphore (et la métonymie), c’est-à-dire la comparaison de deux choses différentes : « La pluie fouettait mon visage » (la pluie comparée à un fouet), « Un skieur aux spatules gourmandes de dénivelé » (vous comprenez l’idée). L’un des premiers exemples est apparu dans l’ancêtre du roman, les sagas islandaises, avec les kenningar.  La métaphore peut-être entrer dans notre quotidien, parfois sans s’en rendre compte et devient un cliché (ou stéréotype) : « voir le bout du tunnel ». Le principe du cliché est qu’on ne le questionne plus et qu’il devient, ainsi, un langage partagé, une formulation acceptée par défaut.

Or, la poésie cherche justement à éviter les clichés, à dépasser cette routine intellectuelle pour fabriquer de nouvelles images, une nouvelle vision avec des mots qui n’ont pas l’habitude d’être reliés. Quand je lis « La terre est bleue comme une orange » (Paul Eluard), je dois modifier mon référentiel, mes connections entre les choses, parce qu’une orange n’est pas bleue ! 

Tom Sharp est un créatif créant des campagnes basées sur du texte pour de grandes marques. Il est également poète. Pour lui « la poésie est un texte où le langage s’approche de la musique et qui ne peut être complété que par une conscience différente de celle de l’auteur » (« a piece of writing where language approaches the condition of music, and which can only be completed by a consciousness other than the writer »). Dans un texte poétique, il faut d’abord entrer, puis mobiliser son imagination pour se faufiler dans les fissures. On manipule les mots, on les cogne, on voit ce qui se passe… C’est un laboratoire dont le dernier mot est laissé au lecteur !

A l’inverse, l’écriture commerciale a une mission : transmettre une information claire et compréhensible, en direction d’une cible et au service d’une stratégie de marque… ce qui est, précise Tom Sharp, « une façon de communiquer pas naturelle et pourtant c’est ce que les gens attendent ». L’écriture poétique va flouter les contours, décaler le point de vue, attendre un effort, considérer sa cible comme un spect-acteur et pas seulement comme un passif observateur. L’écriture de brand content utilisant des méthodes poétiques impose, selon lui, « des abstractions, des sauts mentaux, des choses cachées, demandant au lecteur de s’impliquer dans l’histoire ».

Dans cette toute première version d’un manifesto (brouillon qui normalement reste dans les placards), j’ai traduis un texte écrit à l’origine par les créatifs d’une agence américaine pour la marque Rossignol. J’ai essayé de laisser pulser les failles, les sauts de ligne et les sauts d’imagination, de créer ces espaces à peupler par le lecteur, de lui laisser une possibilité d’entrer, trouver sa place, ressentir, sans imposer. 

Regardez cette publicité signée Jonathan Glazer (réalisateur des fascinants long-métrages Birth et Under the Skin). Par son mystère, par la nature de ses questions, par sa forme surprenante, c’est de la poésie, non ? C’est comme notre planète « bleue comme une orange », non ? 

Texte : Guillaume Desmurs

Le storytelling, une mode ?

Comme les mots disruption ou ubérisation, le mot storytelling commence sérieusement à nous lasser. Quand votre banquier ou un homme politique utilise ces mots, vous savez qu’il est déjà trop tard. Alors, la mode du storytelling est-elle en train de passer ? Au contraire. Ne nous fions pas aux mots, qui habillent seulement une idée. Ce que représente le storytelling est indissociable de l’être humain, c’est dans nos gènes. Storytelling, marketing narratif, raconter des histoires… qu’importe la formulation : l’homme est un être narratif et cela ne changera pas.

Les poissons rouges ont un cycle d’attention de trois secondes, les enfants de trois minutes et les services marketing de trois ans. Avec le storytelling, il me semble qu’on s’approche de la fin de cette période, il est sur le point de lasser ceux qui le pratiquent. Pourtant le storytelling n’est pas une mode, c’est le mode de communication privilégié de l’être humain.

La source.

Pour dépasser le mot usé, poncé, vidé de sa substance comme une tomate de supermarché, revenons à la source. Le storytelling regroupe vaguement les techniques narratives permettant d’organiser des informations pour les transmettre. « Nous pensons en histoires. Nous sommes élevés avec des histoires. Les histoires nous aident à définir notre culture, nos valeurs et notre morale », résume Will Storr, un journaliste spécialiste de la question, dans un article pour le magazine Monocle. Les histoires sont « le langage naturel du cerveau humain », insiste-t-il, et « il n’est pas exagéré de dire que si on ne communique pas avec des histoires, on ne communique pas du tout ».

Mais il y a plus que cela, continue Will Storr : tout comme les histoires font partie du paysage mental de l’humanité depuis la préhistoire, elles ont un rôle stratégique dans une entreprise. « Il est vital de communiquer ses valeurs. Nous sommes une espèce étrange, organisée en tribus et les histoires que nous nous racontons communiquent souvent les règles qui maintiennent ces tribus organisées. C’est en partie grâce aux histoires que les membres du groupe apprennent comment se comporter et les valeurs qui les guident. (…) En créant une entreprise, vous créer une tribu dans laquelle vous devez donner envie d’entrer. »

Les mécanismes.

Will Storr développe ces idées dans son livre The science of storytelling, où il identifie les mécanismes psychologiques fondamentaux de l’humain et comment les histoires les sollicitent et les fait réagir : nous avons tous une vision du monde personnelle (et erronée) construite dans notre enfance, quelles stratégies de survie nous mettons en place pour la préservée, les obstacles que nous devons surmonter pour la maintenir intact et comment, finalement, à la fin de l’histoire, nous acceptons la remise en cause de notre vision du monde. Nous sommes changés, et le changement est un autre élément indispensable d’une histoire.

Comprendre le storytelling, c’est comprendre comment l’humain communique et pense. Will Storr fait appel à des études scientifiques pour prouver à quel point cette structure fondamentale de l’histoire est inscrite dans notre ADN. Dans un autre ouvrage illustrant la même idée, Story Genius, l’auteur Lisa Cron s’appuie les mêmes mécanismes pour mettre à jour les éléments essentiels du moteur d’une histoire : besoin et désir travaillant respectivement au niveau conscient et inconscient. Ce sont les organes vitaux du storytelling, correspondant aux structures psychologiques de l’homme : place dans la tribu, peur du déclassement, tension vers un but, nécessité de créer de l’ordre et du sens, se connaitre soi-même.

Alors si le mot storytelling commence à vous ennuyer, changez-en, appelez cela récit de marques par exemple… mais il est vital de continuer à se raconter des histoires.

Texte : Guillaume Desmurs