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Le storytelling, une mode ?

Comme les mots disruption ou ubérisation, le mot storytelling commence sérieusement à nous lasser. Quand votre banquier ou un homme politique utilise ces mots, vous savez qu’il est déjà trop tard. Alors, la mode du storytelling est-elle en train de passer ? Au contraire. Ne nous fions pas aux mots, qui habillent seulement une idée. Ce que représente le storytelling est indissociable de l’être humain, c’est dans nos gènes. Storytelling, marketing narratif, raconter des histoires… qu’importe la formulation : l’homme est un être narratif et cela ne changera pas.

Les poissons rouges ont un cycle d’attention de trois secondes, les enfants de trois minutes et les services marketing de trois ans. Avec le storytelling, il me semble qu’on s’approche de la fin de cette période, il est sur le point de lasser ceux qui le pratiquent. Pourtant le storytelling n’est pas une mode, c’est le mode de communication privilégié de l’être humain.

La source.

Pour dépasser le mot usé, poncé, vidé de sa substance comme une tomate de supermarché, revenons à la source. Le storytelling regroupe vaguement les techniques narratives permettant d’organiser des informations pour les transmettre. « Nous pensons en histoires. Nous sommes élevés avec des histoires. Les histoires nous aident à définir notre culture, nos valeurs et notre morale », résume Will Storr, un journaliste spécialiste de la question, dans un article pour le magazine Monocle. Les histoires sont « le langage naturel du cerveau humain », insiste-t-il, et « il n’est pas exagéré de dire que si on ne communique pas avec des histoires, on ne communique pas du tout ».

Mais il y a plus que cela, continue Will Storr : tout comme les histoires font partie du paysage mental de l’humanité depuis la préhistoire, elles ont un rôle stratégique dans une entreprise. « Il est vital de communiquer ses valeurs. Nous sommes une espèce étrange, organisée en tribus et les histoires que nous nous racontons communiquent souvent les règles qui maintiennent ces tribus organisées. C’est en partie grâce aux histoires que les membres du groupe apprennent comment se comporter et les valeurs qui les guident. (…) En créant une entreprise, vous créer une tribu dans laquelle vous devez donner envie d’entrer. »

Les mécanismes.

Will Storr développe ces idées dans son livre The science of storytelling, où il identifie les mécanismes psychologiques fondamentaux de l’humain et comment les histoires les sollicitent et les fait réagir : nous avons tous une vision du monde personnelle (et erronée) construite dans notre enfance, quelles stratégies de survie nous mettons en place pour la préservée, les obstacles que nous devons surmonter pour la maintenir intact et comment, finalement, à la fin de l’histoire, nous acceptons la remise en cause de notre vision du monde. Nous sommes changés, et le changement est un autre élément indispensable d’une histoire.

Comprendre le storytelling, c’est comprendre comment l’humain communique et pense. Will Storr fait appel à des études scientifiques pour prouver à quel point cette structure fondamentale de l’histoire est inscrite dans notre ADN. Dans un autre ouvrage illustrant la même idée, Story Genius, l’auteur Lisa Cron s’appuie les mêmes mécanismes pour mettre à jour les éléments essentiels du moteur d’une histoire : besoin et désir travaillant respectivement au niveau conscient et inconscient. Ce sont les organes vitaux du storytelling, correspondant aux structures psychologiques de l’homme : place dans la tribu, peur du déclassement, tension vers un but, nécessité de créer de l’ordre et du sens, se connaitre soi-même.

Alors si le mot storytelling commence à vous ennuyer, changez-en, appelez cela récit de marques par exemple… mais il est vital de continuer à se raconter des histoires.

Texte : Guillaume Desmurs