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Récit de marque

Trop de storytelling tue le storytelling ?

Les histoires nous construisent, alors même que nous les racontons, les écrivons, les lisons. Les histoires ont un rôle central dans l’histoire humaine et dans la façon dont nous nous représentons le monde. Bien entendu, les histoires de marques ne font pas exception… jusqu’à l’indigestion de storytelling.

Les histoires sont nées pour donner du sens au réel, puis elles se sont révélées puissantes pour compacter et transmettre des valeurs, des faits historiques, des informations. Un moyen de communication idéal, parfaitement adapté à l’être humain.

C’est ce que raconte Will Storr dans son livre The Science of Storytelling: Why Stories Make Us Human and How to Tell Them Better (« La science du storytelling : pourquoi les histoire nous rendent humains et comment mieux les raconter »). Il fait appel à des études scientifiques pour prouver à quel point la structure fondamentale des histoires que nous racontons est inscrite dans notre ADN.

La capacité de l’homo sapiens à raconter une histoire est aussi importante pour l’évolution que le pouce opposable (cf Sapiens : Une brève histoire de l’humanité de l’historien Yuval Noah Harari).

Dans Story Genius, Lisa Cron estime que les techniques de storytelling s’appuient sur les structures psychologiques de l’homme : place dans la tribu, tension vers un but, nécessité de créer de l’ordre et du sens, se connaître soi-même.

Ainsi, quand on raconte une histoire avec un début, un milieu et une fin (et un enjeu dramatique, ajouterait Aristote), quand on s’appuie sur le voyage du héros pour dessiner un arc narratif, on fait appel à une structure immémoriale du récit.

A lire aussi : Brand Content, ou comment raconter une histoire qui fait vendre

Aujourd’hui l’Homme continue à se raconter des histoires : la lecture le soir aux enfants, la série Netflix, le polar ou le roman d’amour des vacances et même dans la communication de marque.
Surtout dans la communication de marque.
Cela en devient un passage obligé, un poncif, le marketing est « narratif », il faut « storyteller », il faut « mettre l’humain au centre ».

C’est exactement ce que l’on ressent devant ce judicieux et ironique montage juxtaposant des publicités utilisant les mêmes ressorts narratifs :

C’est le constat de Veja qui nous explique tout cela sur une page intitulée « Le réel plutôt que la fiction »… avec un indéniable talent de storytelling : https://project.veja-store.com/fr/single/ads

On peut aussi citer la pirouette célèbre de Patagonia lors d’un black friday incitant leurs consommateurs à ne pas acheter de veste… ce qui avait boosté les ventes de 10% cette année-là !

Alors, trop de storytelling tue le storytelling ?

« Par les temps qui courent, forger un récit authentique et développer une stratégie de contenus cohérente demande une belle dose d’énergie. Par respect pour les consommateurs, on l’a déjà dit, mais aussi, et on l’oublie trop souvent, par respect pour la marque elle-même. S’aventurer sur le terrain du récit implique que l’on dispose d’éléments attributifs suffisamment pertinents pour nourrir un discours fédérateur. La vérité nous oblige à dire que c’est loin d’être le cas pour bon nombre de marques qui fantasment leurs histoires davantage qu’elles ne les portent en elles. Dit autrement, les marques en demandent toujours trop aux mots. »
FACE b – brainsonic

Alors bien entendu, nous n’allons pas cesser de raconter des histoires, nous en avons un besoin viscéral, ancestral. Ce que nous devons garder en tête est l’absolue nécessité de sincérité.
Le storytelling fonctionne quand il reflète les femmes et les hommes composant l’entreprise… et pas quand il construit des mythes, des fictions certes souvent habiles mais rapidement perçues comme édifiées sur du vent. Des paradis artificiels. Le storytelling fonctionne quand il accepte les aspérités, les imperfections, les hésitations, le flou et même (osons cet interdit de la communication) : l’ambiguïté.

Ce bon vieux Simon Sinek l’avait résumé dans sa formule du golden circle : What/How/Why?
Pourquoi ?
Pourquoi je fabrique ces produits ?
Pourquoi j’ai crée cette entreprise ?
Dans la réponse à cette simple question se niche le caractère unique de la marque, l’énergie primordiale de ses histoires, d’autant plus dans un contexte de crise climatique et de menaces existentielles sur notre économie et notre société.

La sincérité est la meilleure boussole du raconteur d’histoire.
Pour ne pas que le storytelling tue la réalité.

Poésie et brand content

Voilà deux mots qui ne vont pas bien ensemble. Leur juxtaposition contredit notre division culturelle bien ancrée entre une démarche purement créative et la mise à disposition de compétence d’écriture pour un besoin commercial. Et pourtant, la démarche poétique réside précisément dans la capacité à connecter et des mots qui n’ont rien à faire l’un avec l’autre. Et l’étincelle qui en surgit nous intéresse. Pourquoi le Brand Content, la créativité au service du marketing, en serait-il imperméable ?

L’un des premiers outils poétiques de la littérature est la métaphore (et la métonymie), c’est-à-dire la comparaison de deux choses différentes : « La pluie fouettait mon visage » (la pluie comparée à un fouet), « Un skieur aux spatules gourmandes de dénivelé » (vous comprenez l’idée). L’un des premiers exemples est apparu dans l’ancêtre du roman, les sagas islandaises, avec les kenningar.  La métaphore peut-être entrer dans notre quotidien, parfois sans s’en rendre compte et devient un cliché (ou stéréotype) : « voir le bout du tunnel ». Le principe du cliché est qu’on ne le questionne plus et qu’il devient, ainsi, un langage partagé, une formulation acceptée par défaut.

Or, la poésie cherche justement à éviter les clichés, à dépasser cette routine intellectuelle pour fabriquer de nouvelles images, une nouvelle vision avec des mots qui n’ont pas l’habitude d’être reliés. Quand je lis « La terre est bleue comme une orange » (Paul Eluard), je dois modifier mon référentiel, mes connections entre les choses, parce qu’une orange n’est pas bleue ! 

Tom Sharp est un créatif créant des campagnes basées sur du texte pour de grandes marques. Il est également poète. Pour lui « la poésie est un texte où le langage s’approche de la musique et qui ne peut être complété que par une conscience différente de celle de l’auteur » (« a piece of writing where language approaches the condition of music, and which can only be completed by a consciousness other than the writer »). Dans un texte poétique, il faut d’abord entrer, puis mobiliser son imagination pour se faufiler dans les fissures. On manipule les mots, on les cogne, on voit ce qui se passe… C’est un laboratoire dont le dernier mot est laissé au lecteur !

A l’inverse, l’écriture commerciale a une mission : transmettre une information claire et compréhensible, en direction d’une cible et au service d’une stratégie de marque… ce qui est, précise Tom Sharp, « une façon de communiquer pas naturelle et pourtant c’est ce que les gens attendent ». L’écriture poétique va flouter les contours, décaler le point de vue, attendre un effort, considérer sa cible comme un spect-acteur et pas seulement comme un passif observateur. L’écriture de brand content utilisant des méthodes poétiques impose, selon lui, « des abstractions, des sauts mentaux, des choses cachées, demandant au lecteur de s’impliquer dans l’histoire ».

Dans cette toute première version d’un manifesto (brouillon qui normalement reste dans les placards), j’ai traduis un texte écrit à l’origine par les créatifs d’une agence américaine pour la marque Rossignol. J’ai essayé de laisser pulser les failles, les sauts de ligne et les sauts d’imagination, de créer ces espaces à peupler par le lecteur, de lui laisser une possibilité d’entrer, trouver sa place, ressentir, sans imposer. 

Regardez cette publicité signée Jonathan Glazer (réalisateur des fascinants long-métrages Birth et Under the Skin). Par son mystère, par la nature de ses questions, par sa forme surprenante, c’est de la poésie, non ? C’est comme notre planète « bleue comme une orange », non ? 

Texte : Guillaume Desmurs

Le storytelling, une mode ?

Comme les mots disruption ou ubérisation, le mot storytelling commence sérieusement à nous lasser. Quand votre banquier ou un homme politique utilise ces mots, vous savez qu’il est déjà trop tard. Alors, la mode du storytelling est-elle en train de passer ? Au contraire. Ne nous fions pas aux mots, qui habillent seulement une idée. Ce que représente le storytelling est indissociable de l’être humain, c’est dans nos gènes. Storytelling, marketing narratif, raconter des histoires… qu’importe la formulation : l’homme est un être narratif et cela ne changera pas.

Les poissons rouges ont un cycle d’attention de trois secondes, les enfants de trois minutes et les services marketing de trois ans. Avec le storytelling, il me semble qu’on s’approche de la fin de cette période, il est sur le point de lasser ceux qui le pratiquent. Pourtant le storytelling n’est pas une mode, c’est le mode de communication privilégié de l’être humain.

La source.

Pour dépasser le mot usé, poncé, vidé de sa substance comme une tomate de supermarché, revenons à la source. Le storytelling regroupe vaguement les techniques narratives permettant d’organiser des informations pour les transmettre. « Nous pensons en histoires. Nous sommes élevés avec des histoires. Les histoires nous aident à définir notre culture, nos valeurs et notre morale », résume Will Storr, un journaliste spécialiste de la question, dans un article pour le magazine Monocle. Les histoires sont « le langage naturel du cerveau humain », insiste-t-il, et « il n’est pas exagéré de dire que si on ne communique pas avec des histoires, on ne communique pas du tout ».

Mais il y a plus que cela, continue Will Storr : tout comme les histoires font partie du paysage mental de l’humanité depuis la préhistoire, elles ont un rôle stratégique dans une entreprise. « Il est vital de communiquer ses valeurs. Nous sommes une espèce étrange, organisée en tribus et les histoires que nous nous racontons communiquent souvent les règles qui maintiennent ces tribus organisées. C’est en partie grâce aux histoires que les membres du groupe apprennent comment se comporter et les valeurs qui les guident. (…) En créant une entreprise, vous créer une tribu dans laquelle vous devez donner envie d’entrer. »

Les mécanismes.

Will Storr développe ces idées dans son livre The science of storytelling, où il identifie les mécanismes psychologiques fondamentaux de l’humain et comment les histoires les sollicitent et les fait réagir : nous avons tous une vision du monde personnelle (et erronée) construite dans notre enfance, quelles stratégies de survie nous mettons en place pour la préservée, les obstacles que nous devons surmonter pour la maintenir intact et comment, finalement, à la fin de l’histoire, nous acceptons la remise en cause de notre vision du monde. Nous sommes changés, et le changement est un autre élément indispensable d’une histoire.

Comprendre le storytelling, c’est comprendre comment l’humain communique et pense. Will Storr fait appel à des études scientifiques pour prouver à quel point cette structure fondamentale de l’histoire est inscrite dans notre ADN. Dans un autre ouvrage illustrant la même idée, Story Genius, l’auteur Lisa Cron s’appuie les mêmes mécanismes pour mettre à jour les éléments essentiels du moteur d’une histoire : besoin et désir travaillant respectivement au niveau conscient et inconscient. Ce sont les organes vitaux du storytelling, correspondant aux structures psychologiques de l’homme : place dans la tribu, peur du déclassement, tension vers un but, nécessité de créer de l’ordre et du sens, se connaitre soi-même.

Alors si le mot storytelling commence à vous ennuyer, changez-en, appelez cela récit de marques par exemple… mais il est vital de continuer à se raconter des histoires.

Texte : Guillaume Desmurs